Dérivations

Pour le débat urbain

Le risque de blackout, un impensé urbain

Sur le double mode de la fiction et de l’analyse technique, l’article nous aide à anticiper ce que serait, concrètement, à l’échelle de villes comme Liège ou Bruxelles, un blackout.

Prologue scénarisé

12h45, gare de Liège-Guillemins. L’imposant édifice contraste avec la grisaille de ce morne mois de novembre. Jérôme Wanderwalle est en retard. Le trentenaire court entre les badauds. Il lui reste moins de trente secondes pour attraper son train ou il devra annoncer à sa directrice qu’il manquera sa réunion hebdomadaire. Heureusement, le train est encore à quai ! Jérôme se rue dans la première voiture disponible. La porte se referme derrière lui et le train se met en route. Il s’en est fallu de peu.

12h47, 250 m à l’ouest. Alors que Jérôme finit d’éponger la sueur de son visage, les lumières du train s’éteignent, puis le train ralentit jusqu’à s’immobiliser sur les voies. Personne n’a l’air de s’inquiéter ; le service ferroviaire est de plus en plus chaotique. Jérôme sort son ordinateur portable et commence à rédiger quelques mails. Il achève le troisième d’entre eux quand une contrôleuse arrive et informe les passagers qu’il y a une coupure d’électricité sur la voie et que tout devrait être rétabli très vite.

13h26. Cinq emails plus tard, le train ne s’est toujours pas remis en route. Le mécontentement commence à gronder, comme en témoignent les plaintes émanant du groupe le groupe de pensionnés |1| deux rangs devant Jérôme. Le chauffage s’est arrêté avec la coupure et certains voyageurs commencent à le sentir. Jérôme sort son téléphone portable et appelle sa directrice :

« Hello Camille ? Je suis navré, je suis coincé dans le train. Il y a visiblement une coupure de courant sur la ligne.
Ne m’en parle pas, on a plus de courant à Bruxelles non plus.
Ah, chez vous aussi ? On nous dit dans le train que ça doit être rétabli tout prochainement. Tu peux m’excuser pour la réunion si je n’arrive pas à l’heure ?
Oui, mais je ne sais pas si on va la maintenir de toute façon. Il faut que je te laisse, il y a Maurice qui est bloqué dans l’ascenseur et la ligne du prestataire technique est en permanence occupée.
Entendu, à tout’. »

Manquer la réunion est une chose. Ne pas pouvoir aller chercher les enfants après l’école en est une autre. Il faut prévenir Sofie.

13h35. Un message vocal et un SMS plus tard, toujours pas de réponse de sa compagne. « Pourquoi ne répond-elle pas ? », s’interroge Jérôme. Était-elle aussi touchée par la coupure ? « Pourtant, elle travaille à Louvain-la-Neuve… le problème serait-il national ? », songe-t-il. Cette situation devient de plus en plus désagréable. Jérôme tente encore une fois de joindre Sofie, mais son smartphone indique maintenant : « Pas de réseau ». Le cadre se tourne alors vers les autres passagers : « Bonjour. Je ne capte plus le réseau et je voudrais appeler ma femme. Quelqu’un pourrait-il me prêter son téléphone ? » « Chez moi aussi, c’est mort », lui répond une jeune femme. Un des pensionnés acquiesce, plus personne n’a accès au réseau.

13h41. La contrôleuse refait son apparition : « Étant donné les circonstances, veuillez quitter le train et revenir à la gare le temps que la situation se rétablisse ». Les questions fusent, mais la fonctionnaire décline, puis passe au wagon suivant après avoir activé le mécanisme d’ouverture d’urgence des portes. Revenir à la gare n’enchante guère Jérôme, mais la perspective d’un bon café chaud est motivante. Les passagers sortent cahin-caha. Une des pensionnaires ne se sent pas très bien. Plusieurs passagers l’aident à marcher. Jérôme se propose de porter ses bagages.

13h57, Liège-Guillemins. De retour sur les quais, Jérôme prend congé de ses compagnons d’infortune. D’autres attendent, certains hagards, certains blaguant, mais la plupart sont en discussion en petits groupes, alors qu’on s’adresse généralement rarement la parole entre inconnus. Le trentenaire file dans la pénombre des sous-voies pour obtenir un café à emporter… mais sans succès ! Jérôme oscille entre ironie et agacement. Avec sa formation universitaire, il aurait dû anticiper que les machines à café ne fonctionneraient pas sans courant. Dépité, il sort de la gare. Un fonctionnaire des chemins de fer informe : « Des bus de remplacement pour Bruxelles et Namur seront mis en place dès 15h30 ». Rassuré par cette nouvelle, Jérôme se détend un peu.

14h11, devant la gare. Le trafic de l’autre côté de la place Pierre Clerdent semble plus dense que d’habitude. Curieux, Jérôme s’en rapproche. Les feux de signalisation sont hors service. « Pas étonnant que la situation ait provoqué des bouchons dans le méandre routier liégeois », pense-t-il. Une évidence frappe le trentenaire : s’il veut chercher ses enfants à 17h00, il faut partir tout de suite. La situation routière à Bruxelles risque d’être pire avec le rush de la fin de la journée.

14h24. Jérôme fait la tournée des taxis. Trois sont prêts à partir à Bruxelles pour 150 euros. C’est une grosse somme, mais le jeune papa est prêt à la débourser pour les enfants. Il lui manque cependant 90 euros, et les distributeurs sont inertes. Jérôme hèle la foule grandissante devant la gare : « Qui veut partir maintenant pour Bruxelles ? J’ai un taxi, mais j’ai besoin de partager les frais ! » Deux personnes se joignent finalement à lui.

15h03, sur l’autoroute A3 Liège-Bruxelles. Quitter la ville était ardu, mais le trafic est fluide sur l’autoroute, sauf au niveau des sorties. Jérôme fait la connaissance de ses compagnons d’infortune : Mehdi, un consultant en informatique, et Ida, une jeune ingénieure germanophone. La coupure anime les discussions. « Pourrait-elle être le produit d’une cyberattaque ? », s’interroge Mehdi. Le consultant se lamente, de telles menaces ne semblent pas être prises au sérieux par le gouvernement. Les spéculations vont bon train. Ida semble sous le choc. Elle finit par indiquer qu’elle travaille à la planification énergétique territoriale. « J’ai jamais pensé que cette situation arriverait. J’espère que ça va très vite se rétablir, car on n’a pratiquement jamais exercé ce cas de figure… » Jérôme botte en touche.

16h07, entrée nord de Bruxelles depuis l’autoroute A3. La circulation devient plus dense et ralentie, les premiers bouchons sont déjà formés. Mais Jérôme est soulagé : ils sont à Bruxelles. « Heureusement que le chauffeur a fait le plein en début de journée ! », pense-t-il. Le trentenaire s’était étonné du grand nombre de voitures attendant sur l’aire de repos de Louvain. Ida avait observé que les stations essence étaient probablement hors service, une histoire de pompes électriques d’après elle. Mehdi s’était servi de ce prétexte pour condamner le probable manque de plans de contingence |2|, mais personne ne l’avait vraiment écouté. Parvenus du côté de Montgomery, la circulation est barrée suite à un carambolage léger avant le carrefour. Le chauffeur indique qu’il va être difficile de poursuivre. Après discussion, les compagnons de route règlent leur dû, conviennent de faire le reste à pied et se séparent. Jérôme se met en marche, mais sans Google Maps, il se perd plusieurs fois.

17h04, école publique d’Ixelles. L’école des enfants se profile au coin de la rue. Une ambulance passe en trombe à quelques mètres. C’est le huitième véhicule d’urgence que Jérôme voit passer. La présence de la police et des ambulances fait sens, mais pourquoi autant de pompiers ? Une question pour plus tard. Fort heureusement, Mathilde et Guillaume sont là. Les jeunes enfants n’aperçoivent même pas leur père, trop occupés à gambader dans les feuilles de l’automne. Les élèves qui restent semblent indifférents au chaos de l’après-midi, voire s’en amusent. À l’inverse, le personnel parait tendu. Une maîtresse s’inquiète pour ses enfants, que son mari doit aller chercher. Une autre s’irrite que les parents ne soient pas là — ou alors, plus probablement, que la machine à café, le chauffage et la photocopieuse ne fonctionnent plus. Le concierge se demande s’il faudra raccompagner les enfants chez eux. Jérôme se propose de raccompagner les enfants des voisins. « Merci beaucoup, mais on ne peut pas vous laisser faire ça avec les nouvelles directives de protection de l’enfance ». Jérôme est perplexe. Dans une telle situation, on devrait être flexible, pense-t-il.

17h24, 100 m au nord de la place Flagey, Ixelles. Le soleil dispense ses derniers rayons et la métropole commence à basculer dans la pénombre. Quelques bus de remplacement, sans trolleys, circulent encore. Il reste quelques badauds aux arrêts. « Savent-ils que le tram ne marche plus ? », se questionne Jérôme. Guillaume embête sa sœur, qui se venge en lui rappelant qu’il ne pourra pas jouer à sa console préférée. Jérôme tempère : « On fera un jeu de société, c’est chouette », mais intérieurement la situation tend le jeune papa. Il ne lui reste plus que quelques euros et il lui faut acheter de quoi faire le repas. Fort heureusement, il connaît bien un des épiciers turcs du quartier. Il faut espérer qu’il lui fera crédit.

17h36, épicerie de Mounir, Ixelles. Jérôme est soulagé. L’épicier accepte qu’il laisse une ardoise, à la condition qu’il prenne au moins un surgelé. Évidemment, les congélateurs et frigos avaient cessé de fonctionner. « Cette coupure commence à me taper sur les nerfs », confie Jérôme. « Je ne te le fais pas dire », lui répond Mounir. « J’ai dû refuser tellement de clients qui n’avaient pas de cash. J’espère que l’électricité reviendra bientôt, sinon je vais devoir jeter une partie de mes stocks… Qu’est-ce qu’elles foutent, les autorités ? » Jérôme n’ose pas lui transmettre la révélation d’Ida et prend congé. « Merci encore, Mounir ! Ça ira mieux demain ! », lance Jérôme, en essayant de se convaincre lui-même.

17h51, rue du Collège, Ixelles. La cage d’escalier menant à l’appartement familial est plongée dans la pénombre. La petite a peur du noir. Jérôme éclaire l’escalier avec la lampe de son téléphone. Ça rassure Mathilde. L’équipe arrive au troisième étage, et Guillaume ouvre la porte de l’appartement. « Brrr… ! Fait froid ! », s’exclame le grand. « J’ai faiiiiiiiim », geint la petite. Jérôme est bien embêté. Il était bien d’accord de prendre ces bâtonnets de poisson pané et ces épinards surgelés, mais comment les cuire ? Il aurait dû y réfléchir plus tôt. Mais tout d’abord, il faut traiter le problème de la lumière. Quelques restes de bougies de Noël et les enfants sont émerveillés. Jérôme s’en va à la cave chercher le réchaud de camping. Smartphone à la main, il faut retrouver l’objet parmi le capharnaüm des objets auxquels on s’attache assez pour les garder, mais pas assez pour les utiliser.

18h32, dans la cuisine. Père et enfants sont rassemblés autour d’un Monopoly bien avancé. Sofie arrive avec une heure de retard. « Comment ça va l’équipe ? On dirait que vous vous êtes déjà bien adaptés », lance-t-elle à la cantonade. « Chéri, tu as fait comment pour rentrer ? », interroge-t-elle. « Taxi. J’allais te poser la même question », lui répond son compagnon. « Ben, j’ai été prise en covoit’ par une collègue. Je l’ai quittée à Uccle, car on pouvait quasiment plus avancer. Je suis bien contente d’être arrivée, car c’était pas triste, ces rues plongées dans le noir ». Jérôme est soulagé. « Mets-toi à l’aise, je prépare le repas », lui dit-il. « Les enfants, continuez à jouer sans moi. » Jérôme allume le réchaud. « Attends, comment tu veux cuisiner ? », interroge Sofie. « J’ai repris le réchaud de ton père », lui répond Jérôme. « Ok… Fais gaffe avec, des étudiants ont mis le feu à leur kot |3| cet après-midi avec ce type de truc. On a dû leur trouver un hébergement d’urgence par messagers interposés avec l’administration de la coopérative étudiante. Ça me rassurerait si tu l’utilisais dehors. » « Bien sûr, chérie », lui répond Jérôme, qui vient de faire le lien avec les pompiers de l’après-midi.

21h24, au salon. Mis à part les phares des quelques voitures qui circulent encore, le bâti est uniquement baigné dans la faible lumière de la lune. Cette situation contraste fortement avec l’animation qui caractérise généralement le quartier. Le repas n’était pas trop mal. L’attention des curieux pour le réchaud et l’odeur du poisson frit un peu moins. Les enfants sont au lit, après une énième dispute sur fond d’expérience douloureuse des inégalités économiques monopolistiques. Malgré la situation, il y quelque chose de romantique dans cette soirée à la bougie. Sur le balcon, les voisins ont aussi sorti les leurs et on échange gaiement, bien que tout le monde appréhende la suite. On voit pour la première fois la Voie lactée depuis le centre de Bruxelles.

22h43, dans la chambre à coucher. « Les toilettes aussi ! », s’exaspère Sofie, qui revient de la salle de bains. « Tu veux dire quoi ? », lui répond Jérôme, le nez pour la première fois depuis longtemps dans un livre au lit. « La chasse d’eau est vide. Mais c’est pas le seul problème, y’a plus rien qui sort des robinets ». « Il ne manquait plus que ça », souffle Jérôme, levant les yeux au ciel. « Déjà qu’il fallait se farcir l’odeur du moisi — le prix à payer pour la chaleur des vieilles couvertures du fond de la cave — mais, en plus, les toilettes allaient se mettre à puer », maugrée-t-il. « Je sais même pas comment aller au travail demain », susurre Sofie, qui se glisse sous l’épais patchwork de couvertures. « Je ne sais pas si on saura y aller », lui rétorque son homme. J’ai oublié qu’on avait plus de courant et il ne me reste plus que 7 % de batterie. Le réveil ne va probablement pas sonner ». « Ah oui, moi aussi. », répond distraitement Sofie. Elle enchaîne : « Si on oubliait tout ça un instant… On verra demain matin, chou. ». Jérôme acquiesce. Il n’y a rien qu’ils puissent faire tout de suite. Il repense anxieusement aux mots d’Ida. « Il y a intérêt à ce qu’ils trouvent une solution », songe-t-il, avant de s’évanouir dans le sommeil.

Le risque de blackout |4|

Ce long prologue a pour but d’illustrer les conséquences d’une coupure d’électricité sur une large zone, en particulier en milieu urbain |5|. Ce cas de figure s’est déjà produit à plusieurs reprises dans différentes parties du globe. Par exemple, 100 millions de personnes ont été privées d’électricité le 4 août 2019 durant 8 heures sur l’île de Java. Quelques mois plus tôt, la même année, un tiers du Venezuela a basculé dans le noir pendant l’équivalent de deux semaines. Ce scénario s’est également produit dans les pays dits développés, comme le 14 août 2003, où 55 millions de personnes se sont retrouvées jusqu’à 48 heures sans électricité sur la côte est des États-Unis et dans le sud-est canadien. En Europe, l’Italie et le sud-ouest de la Suisse ont été déconnectés du réseau pendant près de 48 heures entre le 28 et le 29 septembre de la même année. Ces événements sont à mettre en comparaison avec la plus grande coupure de courant mondiale, qui a touché le nord de l’Inde le 30 juillet 2012 pendant 24 heures. 650 millions de personnes se retrouvent sans électricité, soit un peu plus de 8 % de la population mondiale.

Cette liste pourrait encore être étoffée |6|, mais sa fonction est de souligner avant toute chose que le risque de panne électrique n’est pas une spéculation intellectuelle, mais bien une réalité tangible. Ce risque |7| est communément appelé blackout, en référence aux mesures de protection des belligérants pendant la Seconde Guerre mondiale. Aucune lumière ne devait être visible du ciel pendant la nuit afin que l’aviation ennemie ne puisse pas s’orienter. Aujourd’hui, le terme signifie une extinction des feux, mais involontaire. Plus spécifiquement, un blackout désigne une rupture subie de l’approvisionnement en électricité des utilisateurs finaux d’un territoire donné |8|.

Cette contribution a pour but de sensibiliser les acteurs de la fabrique de l’urbain au risque de blackout. Le propos se veut à la fois accessible et pertinent et opère quelques simplifications mineures à des fins pédagogiques. On abordera ici le risque avant tout à travers le prisme des sciences sociales, les aspects techniques n’étant évoqués que là où leur compréhension est impérative. En effet, si le risque repose sur une dimension technique évidente, le degré de vulnérabilité au blackout relève principalement de la sociologie des acteurs et du contexte social, deux dimensions dépendant à leur tour de facteurs économiques, politiques, culturels et de dispositions anthropologiques. Dans cette perspective, il s’agit d’étendre la cartographie du risque, d’aborder ses déterminants, et de discuter quelques implications dans le cadre urbain moderne. Ce type d’étude n’est pas nouveau ; il s’inscrit dans la lignée d’un nombre croissant de publications mettant en évidence le métabolisme énergétique des urbanités contemporaines et leurs vulnérabilités intrinsèques aux ruptures d’approvisionnement |9|.

La nature du risque

Un blackout n’est pas à confondre avec un délestage. Un délestage désigne une coupure intentionnelle et limitée dans le temps de l’approvisionnement électrique à l’initiative des gestionnaires du réseau, contrairement à un blackout, qui est subi. Les délestages interviennent lors de pénuries d’électricité, une situation durant laquelle l’offre électrique est inférieure à la demande. Dans cette situation, la stabilisation du réseau nécessite de ramener la demande à l’offre en privant (« délestant ») ponctuellement, ou cycliquement, des espaces géographiques ou des secteurs d’activité entiers. En théorie, un délestage diffère d’un blackout en ce sens qu’il est contrôlé plutôt que subi par les autorités de pilotage du réseau et qu’il n’excède qu’exceptionnellement 24 heures. En pratique, les effets d’un délestage ressemblent à ceux d’un blackout limité dans le temps |10|.

Concrètement, un blackout se produit dans deux cas de figure : quand il y a une différence entre la consommation et la production d’électricité, ou quand il y a une surcharge d’électricité dans un secteur. La plupart du temps, la coupure de courant se produit suite à une série d’événements en cascade qui provoque, par mesure de précaution, la déconnexion automatique de la plus grande partie du réseau. En effet, la perte de stabilité du réseau ou une surcharge peut endommager durablement les infrastructures de production, de transformation et de transport. Leur déconnexion temporaire en cas de problème est alors préférable au risque d’une mise hors service indéterminée dans le temps. Ce mécanisme et ses conséquences sont intégrés dans la conception des réseaux électriques. Ceux-ci sont dimensionnés de telle manière que leur fonctionnement continu soit assuré avec la perte d’un élément par niveau du réseau. Par exemple, le réseau électrique belge est structuré de telle manière à assurer ses prestations en étant privé de la capacité de génération d’une centrale nucléaire, tout comme l’approvisionnement d’un quartier devrait continuer à fonctionner malgré la mise hors service d’un transformateur local. Il arrive toutefois que plus d’un élément par niveau ne soit plus en mesure de fonctionner, ce qui provoque généralement l’effondrement du réseau.

Les causes d’effondrement du réseau peuvent être regroupées en trois catégories : les aléas d’origine naturelle (inondations, neige, vagues de chaleur, tempêtes et ouragans, tempêtes de glace, perturbations géomagnétiques d’origine solaire, etc.), les aléas d’origine technique (explosions ou accidents industriels, voire nucléaires, problèmes techniques et informatiques, etc.), et les aléas d’origine humaine (sabotage, attentats, cyberattaques, erreurs humaines, malveillance, pandémie |11|, armes électromagnétiques, etc.). Les aléas d’origine naturelle ont plutôt tendance à endommager le réseau de transport électrique. Les aléas d’origine technique concernent surtout la génération d’électricité ou le pilotage de sa distribution. Les aléas d’origine humaine peuvent toucher les trois catégories.

Un révélateur critique

Le risque de blackout agit comme un révélateur de la dépendance fondamentale des sociétés modernes — en particulier celles dites développées — à un approvisionnement suffisant et continu en électricité pour assurer leur fonctionnement de base. Cette dépendance n’a fait que croître depuis la première électrification de l’éclairage public et des processus industriels. Aujourd’hui, cette dynamique se trouve intensifiée par la tendance sociétale à migrer vers le tout-numérique |12| (dont la crise du Covid-19 a accéléré le mouvement) et la transformation économique que représente ce qui a été nommé la quatrième révolution industrielle |13|. Cette dépendance vitale constitue une vulnérabilité critique des sociétés contemporaines. Le risque grandissant que le blackout fait peser est loin d’être trivial, car la proportion de secteurs, processus, fonctions, flux, appareils et accès nécessitant impérativement un approvisionnement continu en électricité pour leur fonctionnement ne cesse de croître.

C’est pourquoi le secteur de l’électricité peut être qualifié de métacritique |14|, car la plupart des autres secteurs en dépendent pour leur bon fonctionnement |15|. Parallèlement, ces propriétés rangent le risque de blackout dans le groupe des risques dits systémiques, au sens où sa survenance peut entraîner la matérialisation d’un large panel de risques liés (voir l’illustration de la cascade d’effets après un blackout en milieu hospitalier). En outre, le risque de blackout peut aussi devenir un risque existentiel, si celui-ci aboutit à priver durablement l’aire touchée des flux vitaux nécessaires à son existence. Rassembler toutes les conditions nécessaires |16| à la réalisation de ce scénario est hautement hypothétique, mais celui-ci est techniquement possible dans plusieurs cas de figure |17|. Indépendamment du scénario, il est très probable que les zones urbaines soient les plus touchées, en raison des dépendances accrues des villes aux flux extérieurs et de l’insuffisance ou de l’absence de leurs propres capacités de production.

L’évaluation du risque

C’est donc sans surprise qu’un nombre grandissant d’acteurs |18| identifie le blackout comme étant un des risques les plus importants à court terme pour les sociétés contemporaines, surtout si le phénomène dure plusieurs jours. En Suisse, le consensus fédéral estime qu’un scénario de trois jours de blackout sur tout le réseau électrique européen pourrait se produire avec un temps de retour de 100 ans |19|. Depuis 15 ans, les estimations de gravité et de fréquence potentielle sont constamment revues à la hausse. Si la réalisation d’un blackout est fondamentalement incertaine, cette tendance indique qu’un tel scénario est pris de plus en plus au sérieux par les électriciens |20|. Dans tous les cas, ce risque attire bien moins l’attention que d’autres, comme celui d’accident nucléaire ou des effets du changement climatique, alors qu’il pourrait être fatidique. Plusieurs facteurs expliquent cette relative asymétrie. Certains sont spécifiques à l’Europe, alors que d’autres sont universels.

Le premier facteur, et non des moindres, est lié à une socialisation à une relative sécurité qui alimente une insouciance générale vis-à-vis des risques majeurs (abrégée ci-après socialisation à l’insouciance). La socialisation désigne ici le processus social par lequel l’individu assimile les normes et les valeurs de la société (ou de la partie de la société) et intériorise l’ordre du monde comme étant juste et naturel. Dans ce cadre, la socialisation à l’insouciance est le produit de deux dynamiques générales. La première est l’effet d’accoutumance des Européens à la sécurité comme un donné structurel. Cette accoutumance fait suite à 80 ans de paix (dont une partie sous la menace atomique), de relative stabilité sociale, d’État-providence et de sécurité sanitaire (même si ce dernier facteur pourrait changer avec la crise du Covid-19). Dans le domaine électrique, l’absence de coupure de courant grave et récente sur le continent européen participe à cet effet d’accoutumance. La seconde dynamique est la désensibilisation à la tangibilité des risques majeurs. Cette désensibilisation résulte de deux tendances : les désaveux à répétition des prédictions de malheur depuis les années 1970 (risque de famine dans les années 70 et 80, bug de l’an 2000, pic pétrolier, etc.) |21| et, en parallèle, l’essor du cornucopianisme, à savoir la croyance en la capacité de l’ingéniosité humaine (ou du développement technologique) à surmonter tous les problèmes |22|.

Cette socialisation à l’insouciance alimente la croyance que « si ce n’est jamais arrivé, ça n’arrivera pas (ou qu’il est très peu probable que ça arrive) », une évidente erreur de raisonnement. Une variante de ce raisonnement faussé est le biais anthropique. Cette dernière croyance postule que si aucun événement n’a détruit l’humanité par le passé, aucun ne le fera dans le futur ; un blackout fatidique n’est donc pas à envisager sérieusement. Ce raisonnement inductif selon lequel le passé peut être projeté sur le futur a pourtant historiquement alimenté des situations de surprise stratégique |23|, c’est-à-dire de matérialisation soudaine et non anticipée d’un danger ou d’un risque majeur, avec les préjudices que cela implique (comme Tchernobyl et Fukushima).

Le deuxième facteur a trait à la distance relative des Européens par rapport aux occurrences récentes de blackout. Par exemple, les épisodes vénézuéliens ou javanais n’ont pas ou peu été relayés dans le paysage médiatique européen. Il y a plusieurs raisons à cela : tout d’abord, le biais de proximité, à savoir la perte d’incidence médiatique des faits proportionnellement à leur éloignement géographique et culturel. Ensuite, la prétention de la supériorité des standards de sécurité européen sur ceux des pays touchés. Ce dernier type de raisonnement a pourtant montré ses limites lors de la crise du Covid-19 (en tous cas jusqu’en novembre 2020), qui met considérablement plus à mal les systèmes de gestion de crise des pays européens que ceux des pays asiatiques. L’incertitude demeure quant à savoir si cette perte (temporaire ?) de prestige pourrait aboutir à une remise en question durable, et si cette remise en question inclurait une réflexion sur la vulnérabilité au risque de blackout.

Le troisième facteur concerne la culture des professionnels de l’électricité, qui peut contribuer à minimiser le risque. En effet, dans le milieu, le fait d’admettre l’éventualité d’un blackout est généralement associé à un hypothétique déficit de compétence (individuelle ou collective). Cette association peut être perçue comme pertinente (notamment par les politiques ou des pans de la population), mais l’examen de la majorité de cas de blackout à ce jour met plutôt en cause des circonstances extraordinaires ou alors des manques de moyens, deux éléments ne relevant pas de la compétence ordinaire des professionnels de l’électricité. La culture du secteur n’est pas pour autant exempte de problèmes : son fétichisme de la maîtrise par la réduction au calcul, sa croyance en la toute-capacité des dispositifs technologiques à maîtriser les risques, et la difficulté à raisonner « hors cadre » |24| pour envisager l’impensable (« et si ? »).

Le quatrième facteur réside dans le peu ou l’absence d’incitations structurelles (politiques ou économiques) à prévenir et atténuer le risque tant que celui-ci n’est pas perçu comme un problème prioritaire. Le risque d’occurrence de blackout pourrait en effet être réduit par des investissements préventifs sur le réseau, notamment en rénovant ou en renouvelant des infrastructures et en multipliant des redondances techniques et de pilotage |25|). Cependant, ces investissements — en particulier s’ils sont importants — n’apportent aucun bénéfice supplémentaire pour la population ou les actionnaires, en ce sens que la situation de base demeure inchangée (l’approvisionnement continu en électricité). En dehors des interventions absolument nécessaires au maintien immédiat des infrastructures et prestations en place, la nécessité d’investir dans le renforcement du réseau n’apparaît impérative qu’à un groupe très réduit d’acteurs (généralement les ingénieurs électriciens et un segment des professionnels de la défense). Dans ce cadre, les politiques et les dirigeants sont davantage incités à allouer des ressources à la satisfaction d’intérêts plus pressants de leur actionnariat ou de leur électorat (comme l’octroi de plus de dividendes ou l’accroissement des financements pour l’innovation). Cette logique implacable détermine la plupart des dynamiques d’allocation de ressources. Elle peut se transformer en cercle vicieux quand le report prolongé d’investissements structurels rend leur réalisation trop coûteuse (financièrement et politiquement), parce qu’il n’y a plus la capacité budgétaire ou parce ce qu’allouer les ressources nécessaires à la sécurisation du réseau réseau impliquerait un effet d’éviction sur d’autres postes de dépenses, des éléments de calcul politique à lier avec le prochain facteur.

Le cinquième et dernier facteur concerne l’absence ou le manque d’incitations individuelles à traiter le problème. Au niveau politique, élus et dirigeants n’ont pas d’incitation à allouer des ressources pour renforcer le réseau si ces investissements ne contribuent pas à renforcer leur côte d’approbation auprès des électeurs ou des actionnaires, ou pire, si allouer ces ressources au réseau plutôt qu’ailleurs dégrade leur côte. Au niveau organisationnel, les acteurs (notamment les cadres et les techniciens) n’ont pas ou peu d’incitation à traiter le problème si cela ne leur apporte pas de bénéfice professionnel notable ou si cela met en danger leur carrière. Cette logique s’exprime dans deux configurations : là où le temps de traitement estimé d’un problème extraordinaire, mais non immédiatement prioritaire dépasse le temps d’affectation à un poste et donc que sa résolution ne constitue pas un levier d’avancement de carrière ; et là où les porteurs de problèmes de ce type sont punis par leur institution, parce que l’évocation de problèmes extraordinaires préalablement non traités (y compris des dysfonctionnements majeurs) est associée à la reconnaissance d’une faute grave, ce qui est perçu comme un danger pour l’image de l’institution et/ou des carrières des responsables en question. Dès lors, seuls les individus empreints d’un profond attachement pour l’intérêt public sont prêts à mettre la résolution d’un problème extraordinaire au-dessus de l’avancement de leur carrière. Si ce facteur semble plus prégnant dans le secteur privé, il n’en affecte pas moins le secteur public, surtout dans les logiques de mise à l’écart des porteurs de problème.

En conséquence, le système incite les responsables et politiques à esquiver leurs responsabilités et les employés à ne pas faire de vagues, ces deux catégories espérant qu’aucun problème majeur ne se manifeste jusqu’au moment de passer à un autre poste. Ainsi, comme le résume un témoin privilégié, « pour la majorité des responsables, les problèmes sont soit ceux de leur prédécesseur, soit ceux de leur successeur » |26|. En cas de problème, on proclamera « qu’on ne savait pas » ou « qu’on n’aurait jamais pu penser que cela se produirait », alors que généralement ces problèmes ont déjà été rapportés en interne par des lanceurs d’alerte ou en externe par des citoyens préoccupés |27|. En Suisse, cette logique cynique a déjà conduit plusieurs acteurs du réseau électrique à préparer leurs plans de communication en cas de blackout, sans par ailleurs contribuer significativement au renforcement structurel du réseau pour diminuer le risque |28|.

Une prise en compte nécessaire

Jusqu’à présent, la grande majorité des blackouts a duré moins de 24 heures. Si des cas de plus d’une semaine voire même de non-rétablissement du courant font partie des possibles, ils demeurent improbables. Le risque le plus plausible réside probablement dans des blackouts courts (jusqu’à 24 heures), frappant des zones pour la première ou la seconde fois, ou des coupures de courant plus longues (de deux à quatre jours) sur une large aire, qui mettraient à mal la plupart des procédures de contingence et de continuité d’activités (qu’elles soient publiques ou privées).

Comme précédemment évoqué, les villes sont les plus exposées au blackout en raison des dépendances vitales de leur métabolisme énergétique. Ces dépendances ne sont pas per se propres aux villes, mais les zones rurales y sont moins exposées. Cette moindre exposition s’explique de deux manières. Tout d’abord, l’éloignement des services et la manifestation ponctuelle d’aléas divers incitent la population rurale à faire des réserves et à cultiver des pratiques d’entraide. Ensuite, parce que les campagnes, même fortement segmentées, conservent une capacité d’autosuffisance plus élevée (ou sont des lieux plus propices à leur développement). Ces deux éléments contribuent à une autonomie tendanciellement plus importante des zones rurales, ce qui constitue également un facteur de réduction des tensions et de heurts sociaux en cas de perturbation majeure des chaînes d’approvisionnement, comme à la suite d’un blackout.

L’importance et la prévalence du risque s’accroissent de jour en jour, au rythme de la migration des sociétés modernes vers le tout-numérique, un facteur d’intensification de dépendance à l’électricité. D’autres facteurs contribuent à l’accroissement de la vulnérabilité du réseau à un blackout. Même si cela peut paraître contre-intuitif, un de ces facteurs réside dans la part croissante des énergies renouvelables (ENR, surtout l’éolien et le solaire) dans le mix énergétique. Les ENR ont deux effets potentiellement délétères sur le réseau électrique. Premièrement, le caractère intermittent de leur génération (produisant lorsqu’il y a du soleil ou du vent) accroît l’instabilité potentielle entre le niveau de production (qui n’est que partiellement pilotable) et de consommation (qui n’est que peu pilotable, délestages à part). Deuxièmement, le modèle d’incitation européen à l’exploitation des ENR a pour conséquence indirecte de fragiliser la rentabilité des installations de production d’électricité pilotable, puisqu’il arrive fréquemment que les producteurs d’ENR paient des consommateurs étrangers pour absorber la production excédentaire qu’ils n’arrivent pas à écouler sur leur territoire |29|.

Ce facteur est à mettre en parallèle avec la tendance à une plus grande libéralisation du marché européen, où l’essor récent d’acteurs effectuant uniquement du trading bouleverse le marché de l’électricité et sa stabilité. Dans la tradition néolibérale, les bénéfices de ces pratiques sont privatisés tandis qu’on socialise les pertes, respectivement ici les risques encourus. La gestion complexe à la fois des sources de génération, mais aussi de l’éloignement de ces sources dans le réseau électrique européen fait reposer sur les opérateurs nationaux la responsabilité de correctement « dispatcher » les flux d’électricité résultant de ces opérations de trading (à l’heure, voire à la minute), c’est-à-dire d’en coordonner la distribution aux consommateurs finaux. Ces opérations peuvent nécessiter non pas un, mais plusieurs dispatchings pour assurer la stabilité du réseau, ce qui constitue un point de vulnérabilité supplémentaire.

L’évocation liminaire de ces facteurs met en évidence l’importance des dimensions économiques, sociales et politiques dans la vulnérabilité au blackout. Bien qu’elles semblent très éloignées des villes, elles peuvent très bien provoquer leur mise à l’arrêt si ces facteurs ne sont pas bien gérés. Dans ce cadre, cette contribution invite les acteurs de l’urbain à se saisir de ces enjeux faisant trop généralement l’objet d’impensés structurels. Si la durabilité fait partie des défis centraux de la fabrique de la ville à l’anthropocène, il serait prudent d’y adjoindre la continuité opérationnelle de l’approvisionnement en électricité des centres urbains, sans quoi ceux-ci ne pourraient plus être « durables » du tout.

|1| Belgicisme désignant les retraités.

|2| Procédures et processus, déterminées à l’avance, pour faire face à un spectre plus ou moins important de cas de figure généralement extraordinaires.

|3| Belgicisme désignant un hébergement étudiant, généralement sous la forme d’une colocation.

|4| Sauf mention spécifique ou autre, les éléments développés dans ce texte s’appuient sur plusieurs contributions de l’auteur dans la Revue Militaire Suisse, elles-mêmes basées sur des éléments de synthèse de la littérature sur la question et des entretiens d’experts. Voir numéro 2018(5) : Introduction au dossier « blackout » [p. 36] ; Le blackout, un « super-risque » : Une explication par la criticalité [p. 37] ; Blackout : Déclencheurs et mécanismes [p. 37-41] ; Blackout : Les conséquences en heures et en jours [p. 42-9]. Numéro 2019(5) : Cinq raisons de se renseigner sur le risque de blackout [pp. 39-40] ; Blackout — Pourquoi n’en parle-t-on pas plus ? [p. 41-2] ; La problématique de la reconstruction du réseau après un blackout [p. 43].

|5| Les temporalités et enchaînements du scénario proposé se basent sur une mécanique générale, en principe applicable à l’ensemble des sociétés développées à quelques différences près (comme la capacité d’autonomie électrique des antennes de téléphonie mobile). Dans ce cadre, il est à envisager que ce scénario ne reflète pas exactement toutes les spécificités de la configuration belge. L’auteur remercie d’avance tous les spécialistes de leur indulgence et serai heureux d’obtenir tout retour ou correction sur ladite configuration (par exemple, sur les temps de maintien de la pression dans les réseaux d’acheminement du gaz) à l’adresse suivante : gregoire.chambaz@revuemilitairesuisse.ch.

|6| Voir notamment https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_major_power_outages (consulté le 20 septembre 2020).

|7| Le vocable « risque » désigne ici « la possibilité qu’un événement se réalise et provoque des conséquences négatives ». Définition empruntée à Pierre Lauquin, 30 octobre 2020.

|8| Définition inspirée de https://en.wikipedia.org/wiki/Power_outage (consulté le 20 octobre 2020).

|9| Par exemple, voir Steel, C., Ville affamée : Comment l’alimentation façonne nos vies, Paris : Rue de l’échiquier, 2016.

|10| Mis à part pour les délestages cycliques, ceux-ci étant annoncés par les autorités ou attendus par les acteurs, ces derniers pouvant alors anticiper la coupure de courant en conséquence.

|11| Le risque de blackout dans le cas pandémique est un cas extrême. Il requiert une réduction critique du personnel du secteur électrique (par incapacitation, décès ou abandon de poste) telle que le réseau électrique ne pourrait plus être adéquatement exploité et piloté, ceci entraînant l’effondrement du réseau.

|12| Formulation de Michel Dufour. Voir « Un risque de blackout accru ? Les dangers du tout-numérique », 2018 (5), in Revue Militaire Suisse [pp. 59-61].

|13| Proposé pour la première fois en 2011 et théorisé en 2016 par Klaus Schwab, président du World Economic Forum, le terme de quatrième révolution industrielle désigne une transformation fondamentale des modes de production et de vente à travers la digitalisation, l’automatisation la robotisation et les développements de l’intelligence artificielle. Voir Schwab, K., The Fourth Industrial Revolution, 2016, Crown Business [184 p.].

|14| Caractérisation proposée par Dimitri Pércia. Conversation, septembre 2019.

|15| Voir notamment l’analyse du Bundesamt für Bevölkerungsschutz, Schlussbericht Kritikalität der Teilsektoren, 2010 [21 p.].

|16| Ces conditions sont : 1. Le blackout doit avoir épuisé les réserves de biens existentiels (tels que l’eau, la nourriture et le chauffage) de la zone affectée ainsi que sa capacité de production autarcique de ces mêmes biens ; 2. Aucune assistance (ou alors une aide insuffisante) ne doit parvenir à la zone touchée (variante : la population n’est pas évacuée ou alors seulement une partie) ; 3. La population ne peut pas s’extraire de la zone affectée et atteindre un territoire où ses besoins existentiels seront pris en charge (en raison des distances, des conditions environnementales, des menaces sécuritaires ou encore de l’ignorance ou de l’incertitude relative à de possibles territoires non affectés).

|17| Ces cas de figure sont (en bref) : 1. Des perturbations géomagnétiques massives d’origine solaire, détruisant les transformateurs et interfaces de pilotage ; 2. Une attaque à impulsion électromagnétique massive, aux effets similaires à des perturbations géomagnétiques, comme dans le cas de l’explosion d’une bombe nucléaire à haute altitude ( plus de 10 km) ; 3. Des cyberattaques massives détruisant la capacité de transport ou de pilotage du réseau ; 4. Des attaques physiques coordonnées (attentats ou frappes à distance) détruisant la capacité de génération ou de transport du réseau.

|18| À l’exemple de la Foundation for Resilient Societies (http://resilientsocieties.org) ou encore de l’Electric Infrastructure Security Council (https://eiscouncil.org).

|19| Dans une configuration typiquement suisse, le consensus résulte d’un vote à bulletin secret de quarante experts et responsables de la gestion des risques des principales branches économiques suisses réunis dans la capitale par l’Office fédéral de la protection de la population le 13 octobre 2014.

|20| Voir Audergon, J., « Évolution de la perception du risque de blackout de 2004 à 2018 », 2018 (5), in Revue Militaire Suisse [pp. 49-51].

|21| À noter que les motifs de désaveux n’ont pas tous la même solidité. Une partie concerne des risques dont l’évaluation a été structurellement erronée, alors qu’une autre partie a trait à des estimations générales toujours aujourd’hui pertinentes mais dont la matérialisation a été reportée pour des raisons liées à des inconnues au moment de la prédiction, à des changements de dynamique d’ensemble, ou aux deux. Par exemple, les estimations systémiques et rigoureuses les plus récentes indiquent que le pic pétrolier devrait bien se produire à partir de 2030. Voir à ce sujet Delannoy, L., Longaretti, P.-Y., Murphy, D. J. & Prados, E., « Global Oil Liquids Production, Past and Forecast To 2050 : Net Energy and Sensitivity Analysis », in Energy Policy, 2020 (en soumission).

|22| Le cornucopianisme est ainsi désigné en référence à la mythologie gréco-romaine de la corne d’abondance (cornu copia) qui produisait une infinité d’aliments et de douceurs. La formalisation contemporaine de cette doctrine se produit dans les années 1970 en réaction aux prédictions néomathusiennes de famine ou d’épuisement des ressources. Malgré la non-réalisation de ces prédictions de malheur, le cornucopianisme n’est pas forcément plus pertinent. En effet, sa doctrine est sujette à plusieurs importants biais de perception ou de raisonnement. Pour une critique, voir Oreskes, N., & Conway, E., Les marchands de doute : Ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique, Paris : Le Pommier [pp. 420-432].

|23| Sur le sujet, voir notamment Jones, M., Silberzahn, P., Constructing Cassandra, Reframing Intelligence Failure at the CIA, 1947-2001, Stanford University Press, 2013.

|24| Sur la notion, consulter les travaux de Patrick Lagadec, notamment Du risque majeur aux mégachocs, Préventique, 2012 et Le continent des imprévus : Journal de bord des temps chaotiques, Manitoba / Les Belles Lettres, 2015.

|25| La redondance désigne la multiplication de composants ou de fonctions critiques d’un système dans le but d’augmenter sa fiabilité. Inspiré de https://fr.wikipedia.org/wiki/Redondance_(ing %C3%A9nierie) (consulté le 30 octobre 2020).

|26| Entretien anonyme, janvier 2018.

|27| Voir notamment les travaux de Patrick Lagadec sur les dysfonctionnements des organisations face au risque.

|28| Entretiens anonymes, janvier et mars 2018.

|29| Voir notamment à ce sujet Jancovici, J.-M., Dormez tranquille jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie, Paris : Odile Jacob, 2015.

Pour citer cet article

Chambaz G., « Le risque de blackout, un impensé urbain », in Dérivations, numéro 7, mars 2021, pp. 122-136. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-7/le-risque-de-blackout-un-impense-urbain.html

Vous pouvez acheter ce numéro en ligne ou en librairie.

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